Arabie Saoudite, dans les années 90. Nader, le nouvel instituteur, arrive dans un village isolé. Il rencontre Norah, une jeune femme en quête de liberté. Leur relation secrète, nourrie par l’art et la beauté, va libérer les forces créatrices qui animent ces deux âmes sœurs… malgré le danger.
Critique
Nadel, l’instituteur arrive dans le village pour apprendre à lire et à écrire aux enfants. Le cheikh, patriarche du village ne voit pas cela d’un très bon œil mais, comme c’est le gouvernement qui l’exige, il lui prête une maison et un local pour enseigner.
Enseigner est cependant un leurre car Nadel a juste l’autorisation de leur apprendre à écrire et à lire ; les jeunes gens sont tous analphabètes, à l’exception de Nörah (qui a appris en cachette)… La fiction se déroule en 1996. Seuls les garçons ont alors accès à l’enseignement. Leurs pères ont des métiers manuels ; ils ont besoin de leurs fils pour les aider et ne sont pas très heureux de les voir partir à l’école.
L’instituteur est un homme patient et pleinement investi dans sa mission. Il est aussi un artiste.
Les femmes portent le voile noir et cache entièrement leur tête et leur corps, elles ne sortent que très rarement de leur maison.
Norah est orpheline depuis qu’elle a six ans et nourrit le rêve d’aller vivre en ville, libre du patriarcat ambiant du village. On l’oblige à épouser Thafir, un jeune homme du village alors qu’elle rêve de liberté…
Tawfik Alzaidi, le jeune réalisateur nous offre un film révélant la complexité d’un pays dont le chef du gouvernement actuel est pourtant engagé vers la modernité et une plus grande ouverture d’esprit que ses prédécesseurs, alors que les villages du désert sont toujours dirigés par des cheikhs issus de l’ancienne génération anti progressiste, au point de ne même pas vouloir l’électricité !
Norah est une jeune fille ambitieuse et rebelle qui nourrit ses rêves grâce aux magazines qu’elle achète sous le manteau au seul épicier du village.
Suite à une promesse de cadeau pour celui qui réussira le Quizz de l’instituteur, le jeune cousin de Norah, grand vainqueur, a gagné son portrait dessiné par Nadel.
Lorsque le jeune garçon rentre chez lui et le montre à Nörah, elle demande à l’instituteur de lui faire son propre portrait, en couleurs. Mais, les lois et la religion musulmane interdisent cela.
Ils se rencontrent secrètement et régulièrement dans l’épicerie. Nörah ne lui montrera qu’un œil puis les deux… À lui de deviner la suite. Elle rêve que son portrait soit exposé un jour dans un musée…
Le film Nörah, écrit et réalisé avec une grande pudeur et beaucoup de douceur par Tawfik Alzaidi, révèle, dans un langage cinématographique délicat, les clivages entre les conservateurs d’une tradition désuète et les porteurs de la modernité.
Le rythme lent du film permet de savourer chaque scène, chaque plan, d’admirer la beauté des acteurs et des actrices, la finesse de leur jeu, et de vivre intensément des émotions inhabituelles, partagées entre apaisement et questionnements.
Les regards, les gestuelles, les longs silences et les rares dialogues, succincts, nous plongent dans une atmosphère chaude et dans un temps suspendu. C’est un peu comme si nous peindrions lentement chaque scène en utilisant une palette de couleurs restreintes ; celles de la terre du Sahara, celles de ses immenses rochers dominants et écrasants et enfin, celles du Ciel du jour et de la nuit.
L’accompagnement musical, principalement au piano, d’Omar Fadel est beau et langoureux.
« L’histoire du film, avec son approche symbolique, pourrait se dérouler n’importe où dans le monde, en raison de l’universalité du conflit interne incarné par les deux personnages principaux. L’histoire de Nörah est une représentation de la vie telle qu’elle est : l’histoire de deux mondes qui se rencontrent. » exprime Tawfik Alzaidi.
« Je ne crois pas que le cinéma soit porteur de messages. Le cinéma est comme la littérature, les romans, la musique… il véhicule d’abord des émotions. Chaque spectateur est libre de comprendre le film à sa manière selon sa sensibilité et le rapport émotionnel qu’il entretient avec lui. L’art existe dans chaque Saoudien de cette époque. Je n’ai fait qu’extraire ces émotions et cet art pour les mettre sur grand écran. Il était important pour moi de raconter cette histoire au monde entier, et le Festival de Cannes est le meilleur endroit pour la partager.
Je suis également fier que nos histoires locales soient présentées au monde. »
Ce film délicat, humain et poétique, nous plonge dans un tout autre monde ; nous l’espérons en devenir pour une vie meilleure pour les femmes et pour les épris de liberté. Nous avons si peu conscience de notre « liberté d’être libres » ici en France, dans le monde occidental…
Ne cessons jamais notre lutte !
Florence Courthial
Bande-annonce
https://youtu.be/2o7weY0pazU?si=eSTC-91etcwDVOsCz