Paula est issue d’une grande famille de Blancs créoles, distillateurs d’un rhum réputé dans toute la Caraïbe et installés depuis plusieurs générations sur l’île de Marie-Galante. Lorsque ses parents l’envoient y vivre, en 1929, son grand-père Gaëtan règne en maître sur l’Habitation Saint-Sulpice, cœur de la distillerie, et sur la maison familiale située à bonne distance, en bord de mer.
Une existence protégée, à l’abri des difficultés matérielles, des conflits et de la violence ? Il n’en est rien. Car comment vivre lorsque vous êtes imprégnée des préjugés raciaux de votre milieu et que, pourtant, le sang de vos ancêtres indiens coule dans vos veines ?
Tel est le dilemme auquel Paula sera confrontée tout au long de sa vie, de la Guadeloupe à la France en passant par la Martinique et le Maroc. Une grand-mère cachée, une mère déshéritée et même le meurtre installeront pour longtemps la honte du métissage au sein de la famille. Cette honte fera de Paula et de ses quatre frères et sœurs des victimes, des rebelles ou des exclus de cette société où, aujourd’hui encore, le métissage n’a pas le même sens pour tous.
Une saga familiale qui jette un éclairage cru sur ce que fut la violence du système colonial, véritable machine à broyer les individus quelle que soit la couleur de leur peau.
Saisissant !
La nuit tu es noire, le jour tu es blanche, le deuxième roman d’Anne Terrier nous plonge dans le racisme intra-familial en Guadeloupe au début du XXe siècle. Son premier roman La Malédiction de l’Indien, Mémoires d’une catastrophe, opus autobiographique, prenait place en Martinique et nous avait beaucoup ému.e.s.
L’histoire ici, est celle de Paula, une jeune fille issue de cette soit disant « bonne famille ». Paula découvre ses origines et doit composer, tout au long de sa vie, avec les préjugés, avec ses propres doutes, avec les remises en cause des valeurs conservatrices dont elle a héritées et, le plus troublant, avec le racisme intra-familial alors que sa grand-mère est d’origine indienne. Les questions du métissage et du racisme ambiant dans les Antilles sont révélées et perturbe notre protagoniste. On comprend aussi que le non-respect des lois est monnaie courante, pire encore, la justice n’est pas toujours rendue.
Le lecteur / la lectrice fait de nombreux allers-retours dans l’arbre généalogique de la famille Saint-Sulpice pour tenter de bien comprendre les descendances et les origines de chacun et de chacune. Dès le mariage de la grand-mère Augusta Dhély avec Gaëtan Saint-Sulpice, les sangs sont mélangés et les blessures psychologiques deviennent, malheureusement, indélébiles.
Extrait de la page 56 : « Paula est fascinée par tant de convictions. Elle envie sa tante de puiser dans la foi une telle assurance, une certitude de tous les instants. Quelque chose lui échappe, à elle qui cherche vraiment dans le catéchisme des règles de vie, quelque chose de l’ordre d’une rampe à laquelle se tenir pour rester en équilibre. Alors elle subit sans les comprendre les diktats de Rosette, qui se sert de la religion comme d’une cravache destinée aux humains récalcitrants. »
L’histoire de la famille Saint-Sulpice traverse plusieurs décennies ; Paula connaît la seconde guerre mondiale et la famine mais sa dignité (fierté ?) l’empêche de fuir vers les îles anglaises de Sainte-Lucie. Ce roman est une grande saga familiale au temps de la colonisation et nous montre à quel point l’identité antillaise est complexe.
Anne Terrier écrit par amour de la littérature, par goût de la transmission et par esprit de révolte face aux discriminations qui perdurent sur les îles caribéennes depuis trop longtemps.
Un roman à mettre entre toutes les mains…
Florence Courthial
Anne Terrier est née à Paris d’une mère martiniquaise et d’un père lyonnais.
Elle a toujours voulu écrire, mais la littérature lui paraissait hors de portée. Anne avait en effet trop d’admiration pour les écrivains dont elle dévorait les romans et pour ceux de son entourage proche : le poète et traducteur Roger Giroux, son père, l’écrivain et philosophe Édouard Glissant, son oncle, le compositeur et écrivain Maurice Roche, ami de la famille, …
Anne Terrier a contourné le problème en devenant, successivement ou simultanément, journaliste (papier et web), traductrice, correctrice, rewritrice, rédactrice, auteure de livres pratiques… Tout ce qui la rapprochait de l’écriture et de la littérature a constitué l’essentiel de sa vie professionnelle.
Au terme de celle-ci, Anne ne s’est pas résignée à quitter le monde des livres. Aujourd’hui, elle est bibliothécaire bénévole dans le réseau associatif Culture et Bibliothèques pour Tous et, à présent, écrivaine.
Ses deux premiers romans sont publiés aux éditions Gallimard.