Près de soixante-dix œuvres du peintre finlandais Akseli Gallen-Kallela (1865-1931) sont exposées au sein du musée Jacquemart-André jusqu’au 25 juillet 2022. Cette exposition intitulée « GALLEN-KALLELA, Mythes et Nature », nous invite à nous immerger dans « l’invention d’une iconographie» de l’artiste qui a peint les paysages finlandais avec son propre style, entre naturalisme, expressionisme et symbolisme, en se dégageant complètement des techniques académiques de l’époque. Dès 1890, l’artiste s’est aussi intéressé au design ; il est d’ailleurs considéré comme le fondateur du design moderne. De nombreux cadres et meubles ont été sculptés par Gallen-Kallela ainsi que les plans et la décoration intérieure de sa maison-atelier appelée Kalela. Superbe !
Akseli Gallen-Kallela a représenté la nature finlandaise avec un lyrisme incomparable, évitant l’agitation urbaine. Son œuvre révèle principalement la nature sauvage, au gré des saisons, avec un regard singulier sur les paysages enneigés, y ajoutant parfois des touches très personnelles comme par exemple les empreintes d’un animal sauvage.
Sa relation avec la nature évolue au fil du temps et de ses inspirations. Ethnographique à ses débuts, elle se nourrit de la pensée ésotérique dans les années 1895 pour acquérir une amplitude inégalée au tournant du XXe siècle. Cette transformation s’accompagne d’un changement de style allant du naturalisme au symbolisme en passant par l’expressionnisme.
Pour créer, Gallen-Kallela s’inspire principalement de la mythologie finlandaise et de la nature de son pays dont il est fier et dont il souhaite l’indépendance vis-à-vis de la Russie. Il était plutôt naturaliste et profondément nationaliste.
Le parcours de l’exposition se compose de sept sections : Les débuts naturalistes ; Kalela, la maison-atelier ; Botanique ; Kalevala et mythes nordiques ; Cosmos ; Paysages de silence et la Nature en majesté.
Ces intitulés très évocateurs vous donnent déjà une petite idée de l’ambiance dans laquelle vous allez plonger : intime ou feutrée, mélancolique ou féérique.
LES DÉBUTS NATURALISTES
Gallen-Kallela a fréquenté l’école de dessin de la Société des beaux-arts d’Helsinki puis a séjourné plusieurs fois à Paris pour suivre les cours de William Bouguereau et de Tony Robert-Fleury à l’Académie Julian, dans un premier temps, puis il s’est inscrit à l’atelier de Fernand Cormon. Il a suivi les conseils bienveillants de son aîné Albert Edelfelt.
Une très belle rétrospective d’Edelfelt vous attend au Petit Palais.
Dans la première salle d’exposition du musée Jacquemart-André, on admire « La légende d’Aïno », un sujet inspiré par le mythe finlandais du Kalevala sur lequel il a travaillé toute une année, en 1888.
Les personnages de la campagne finlandaise sont très émouvants.
L’expression d’ensemble semble assez lugubre cependant l’artiste travaille à y apporter la lumière, celle de l’espoir.
Les toiles « Souffrance muette », « Femme qui cuit un poisson », et toutes celles représentant des enfants nous émeuvent par la profondeur humaine dans laquelle le peintre restitue les situations, même les plus anodines sont transformées en chef-d’œuvre.
KALELA, LA MAISON-ATELIER
Gallen-Kallela souhaitait habiter dans une maison-atelier dans laquelle il serait en lien direct avec la nature, dans une contrée peu habitée et difficile d’accès. Après de nombreux voyages notamment en Carélie et en Laponie, il décide de la faire construire aux abords du lac de Ruovesi, à deux-cents kilomètres au nord d’Helsinki, en pleine nature.
Il en conçoit lui-même l’architecture et la décoration intérieure.
Cette maison devient son havre de paix et un lieu privilégié pour étudier la nature et la restituer dans ses créations.
BOTANIQUE
Dans cette section, les travaux préparatoires du décor monumental réalisés pour le mausolée de Sigrid Juselius, sa jeune fille décédée, sont exposés. C’est autour du thème du printemps et du deuil que l’artiste décline des techniques différentes pour peindre ou graver des fleurs et des motifs issus de divers végétaux.
On découvre des plantes jusqu’alors méconnues, sauf pour celles et ceux qui connaissent la flore scandinave.
Les créations sont d’une grande finesse et d’une poésie étincelante. L’artiste de tempérament solitaire commence à tendre vers l’ésotérisme.
KALEVALA ET MYTHES NORDIQUES
Avec son ami compositeur Jean Sibelius, Gallen-Kallela représente une nature sauvage, symphonique, animée et sacrée, portant des messages de l’univers et essayant de retrouver un environnement originel, la prima materia…
Dans plusieurs de ses œuvres, le peintre représente les cycles de la vie et de la nature avec l’idée d’un éternel retour possible. Son travail prend de plus en plus des aspects et des formes mystiques. L’île devient un refuge protecteur à l’abri de la civilisation.
COSMOS
Gallen-Kallela se passionne pour l’observation des étoiles, l’astronomie et le cosmos dans toutes ses représentations qu’elles soient symboliques ou spirituelles. Ses œuvres du tournant du XXe siècle sont imprégnées par le symbolisme cosmique. Quelle est la place de l’humain dans l’univers ? Y a-t-il une vie après la mort ? Toutes ces questions existentielles habitent l’artiste dont les œuvres sont de plus en plus mystiques et influencées par la religion.
Dans son œuvre époustouflante et lumineuse « Ad Astra », l’artiste a peint les stigmates du Christ dans le creux de la paume des mains de la jeune fille.
La toile COSMOS (1902) fait aussi partie des œuvres préparatoires pour le mausolée de Sigrid Juselius.
Jupiter et la Lune sont couronnés par un orgue qui fait référence à la théorie pythagoricienne de l’harmonie céleste ou « musique des sphères » associant l’espacement entre les planètes à des intervalles musicaux.
PAYSAGES DE SILENCE
Cette section est magnifique. Les paysages enneigés et les vastes étendues lacustres sont splendides.
Un grand silence se dégage de ces œuvres hivernales aux paysages immaculés invitant le regardeur à plonger dans un moment méditatif et très reposant. Une douce sérénité nous envahi.e.s.
« Les skieurs » est la seule toile qui apporte un soupçon d’énergie vive dans cet espace serein, elle conjugue fauvisme et expressionnisme, avec ses couleurs chaleureuses indiquant un soleil levant ou couchant.
Le peintre s’est ici représenté skiant avec son fils.
LA NATURE EN MAJESTÉ
Gallen-Kallela est attiré par les demi-saisons et les phénomènes naturels qui les accompagnent. Peu à peu son rapport au paysage évolue. Il peint les grands lacs et les forêts avec un style qui lui est vraiment propre. Il aime jouer avec les reflets du ciel et de l’eau, le gel et le dégel, les ciels nuageux ou dégagés, le soleil levant ou couchant, en peignant parfois assis dans une barque au milieu d’un lac.
L’artiste était un fervent défenseur de la nature, très préoccupé par l’essor de l’industrialisation et du pillage des ressources naturelles.
Cette superbe exposition nous permet de découvrir un corpus d’œuvres à l’image de l’attachement de l’artiste aux paysages finlandais et à l’ésotérisme, qui font de lui un artiste humaniste, universel et un précurseur de l’écologie.
Vous serez émerveillé.e.s par tant de beauté.
Florence Courthial