Mame-Diarra Niang, Remember to Forget
Le corps noir est au cœur des nouvelles séries de l’artiste française Mame-Diarra Niang. Elle ne souhaite ni le définir, ni le raconter. Elle veut au contraire le libérer des représentations imposées par des siècles de narration occidentale. Elle cherche donc à l’abstraire, à travers ce qu’elle appelle des formes de non-portraits.
Chacune des images de cette tétralogie peut être envisagée comme une évocation de l’artiste elle-même. « Qu’est-ce qui fait que je suis moi ? », se demande-t-elle. Sa personnalité ne peut être réduite à une identité fixe, assignée ou assujettie.
Elle est constituée d’expériences, de mémoires et d’oublis.
Elle est de ce fait en perpétuelle évolution. C’est ce flux, ce territoire en permanente reconfiguration, qu’elle explore.
À travers ce projet, entamé lors d’une période de long confinement, en rephotographiant des écrans, Mame-Diarra Niang joue volontiers avec ces défauts caractérisés de la photographie traditionnelle que sont le flou, les distorsions ou les halos. À la manière d’une psychologue ayant recours aux taches d’encre d’un test de Rorschach pour révéler l’inconscient, elle utilise ces disjonctions de l’imagerie contemporaine comme autant de surfaces de projection.
« Je suis ce flou », dit-elle.
Raymond Meeks, The Inhabitants
Lauréat du programme Immersion de la Fondation d’entreprise Hermès, le photographe américain Raymond Meeks a longuement séjourné en France au cours de l’année 2022. Il a photographié dans le Sud, à la frontière avec l’Espagne et sur les côtes du Nord vers Calais, deux géographies qui ont en commun d’être des points de passages pour les demandeurs d’asile en route vers l’Angleterre. Il a choisi de ne pas photographier les visages de ceux qui sont partis de chez eux à la recherche d’un avenir meilleur, mais plutôt les lieux et les traces de leur itinérance.
Il y a là une chaussure dans la terre, une couverture roulée au sol, une veste accrochée aux branchages. Le photographe s’est particulièrement intéressé aux espaces inhospitaliers que les migrants habitent provisoirement : les fossés, les remblais, les bas-côtés des axes autoroutiers, les bords des rivières, les terrains vagues et autres non-lieux. Même lorsqu’elles ne sont pas directement visibles, les rivières sont particulièrement présentes dans ces images.
Comme si le flux de la migration était métaphoriquement représenté par ces cours d’eau. Mais il y a aussi beaucoup d’obstacles – talus pierreux, bloc de béton, enchevêtrement de ronces ou de barbelés – dont on imagine qu’ils ne sont pas grand-chose par rapport à ceux que les réfugiés doivent surmonter au quotidien. Témoignage de cette autre histoire meurtrière que fut la Guerre de 100 ans, les Bourgeois de Calais, tel qu’ils ont été sculptés par Auguste Rodin, apparaissent aussi dans la série.
Le projet est accompagné d’un texte de l’écrivain américain George Weld qui partage avec les photographies de Meeks une semblable approche guidée par la pudeur et l’empathie.
Crédits photos :
Visuel 1 : Morphologie du rêve #4, de la série Sama Guent Guii © Mame-Diarra Niang. Courtesy of Stevenson Cape Town/Johannesburg/Amsterdam
Visuel 2 : The Inhabitants © Raymond Meeks