L’Institut du Monde Arabe (IMA) présente la première grande rétrospective d’œuvres de Baya (1931-1998), artiste icône de la peinture algérienne, jusqu’au 26 mars 2023 à Paris. Les visiteurs peuvent découvrir une quarantaine de ses « premiers dessins » réalisés entre 1940 et 1945, toutes les gouaches des Contes de Baya de 1947, une sélection de documents historiques inédits, de peintures et de sculptures de 1946 à 1998 et les résultats de recherches menées par l’historienne Anissa Bouayed. Cette exposition, où les femmes sont libres et heureuses, est un émerveillement.
Le musée de l’IMA et le Fonds Claude et France Lemand rendent hommage à Fatma Haddad, célèbre sous le nom de Baya, prénom qu’elle avait choisi car c’était celui de sa mère, dont la traduction est « resplendissante ». De nombreux prêts de musées, de fondations et de collections privées sont venus s’ajouter à l’importante collection du musée de l’IMA.
Les œuvres exposées offrent un éclairage sur la vie de Baya, sa personnalité, son génie et son parcours de femme algérienne et d’artiste de dimension universelle.
Baya fraya son propre chemin et participa, dès l’âge de seize ans, à de nombreuses expositions collectives et personnelles en Algérie et à l’étranger, dont plusieurs en France.
Femmes en leur Jardin
Malgré que Baya n’ait pas été scolarisée, qu’elle fut orpheline et considérée « indigène » pendant la période coloniale, elle maîtrise parfaitement le langage des formes et des couleurs et crée son propre style de femmes belles, heureuses, vivant dans une nature colorée et flamboyante. Le monde qu’elle envisage est toujours très beau et harmonieux.
Ses parents adoptifs, Marguerite et Jean de Maisonseul, – urbaniste, peintre et directeur du musée national des Beaux-arts d’Alger, lui permettent d’avoir les moyens de créer.
Les œuvres de Baya parlent de formes et de couleurs qui sont à la fois un héritage culturel et une invention. C’est tout un monde de symboles et de rêves qui jaillit. Enfant, Baya a évolué d’abord dans un milieu populaire, puis dans un univers culturel riche et diversifié, dans lequel elle a fait des apprentissages essentiels tels que l’observation du travail de la poterie qui lui donna le goût du modelage de la terre. Elle était également très sensible aux contes transmis par sa famille algérienne et par la religion musulmane.
Parmi les documents exposés, on découvre qu’en 1948, la journaliste Edmonde Charles-Roux (1920-2016) a publié une double page sur Baya dans Vogue, avec son portrait en costume oriental posant devant un mur de ses gouaches.
L’écrivaine et académicienne Assia Djebar (1936-2015) considérait Baya comme une femme pionnière sur l’émancipation des femmes affirmant son droit à la création. Elle lui consacre deux textes puissants en 1985 et en 1990 dans lesquels elle expose l’importance symbolique de ses sujets féminins face à la dimension patriarcale archaïque de la société traditionnelle algérienne.
Une œuvre merveilleuse et spontanée
Les peintures de Baya sont réjouissantes car elles ont une dimension positive, elles sont harmonieuses et dégagent une joie de vivre incroyable. Les couleurs, les thèmes, ses femmes en leur Jardin et ses compositions nous font voyager dans un monde onirique. Nous sommes émerveillé.e.s par tant de beauté. Les femmes de Baya évoluent gracieusement et librement dans la nature ; les oiseaux, les papillons, les poissons, les plantes et les minéraux partagent cet univers dans lequel même les robes semblent vivantes. On dirait des tableaux dans un tableau.
Quelques sculptures sont également exposées mais ne représentent pas l’œuvre qu’elle a réalisé. Elle n’a pas été aidée ni même encouragée à travailler avec ce matériau qu’elle chérissait pourtant profondément et pour lequel elle avait aussi beaucoup de talent. À l’inverse de ses toiles ou de ses gouaches, ses sculptures étaient parfois sombres et jugées laides par les critiques d’art de l’époque. Pourtant, certaines étaient mystiques ou expressionnistes.
Une symphonie de couleurs, de formes et de personnages
Les oiseaux chantent, les poissons dansent et volent, les regards doux et complices se croisent, les formes sont voluptueuses, des animaux imaginaires tournoient, des instruments de musique s’invitent dans le paysage. Baya disait « Vous savez, je ne planifie rien. Je me réveille et je mets mes rêves sur le papier. »
Dans ses œuvres, les femmes et tous les êtres vivants vivent ensemble en harmonie comme dans le Jardin d’Eden, comme au Paradis, au temps des prophètes cités dans la Bible et le Coran, par le don d’Allah à ses Élus, le roi Salomon et la reine de Saba. L’oiseau fétiche de Baya, la huppe-paon fantastique est un personnage central dans l’univers de ses peintures et de ses contes, le compagnon familier de la femme qui lui parle et l’écoute.
« La lumière de ta beauté est un miracle de Dieu. » aurait pu dire Baya avec la chanteuse cairote Laure Daccache. Des femmes lumineuses et universelles que l’on pourrait comparer à l’olivier décrit dans le Coran : « Un arbre béni : un olivier ni oriental ni occidental, dont l’huile semble éclairer sans même que le feu le touche. Lumière sur lumière. »
L’exposition Baya, Femmes en leur Jardin, est une invitation à vivre des moments de joie et d’extase paradisiaque. La lumière d’un jour perpétuel donne tout leur éclat aux couleurs et à la beauté de son monde. Baya s’exprimait peu car elle pensait que ses œuvres étaient suffisamment expressives, éloquentes, au diapason d’un idéal de beauté et d’harmonie universelle.
Il se dégage des créations de l’artiste une candeur, une fraicheur, une élégance rare et enchanteresse. Elles semblent illustrer des contes du livre les Mille et une nuits…
On est sous le charme absolu de la Grande Frise, 1949, dans lequel le vent souffle dans les dattiers. Les femmes aux robes longues colorées préparent-elles une fête en leur Jardin ?