“To whom the bird should speak?” (À qui l’oiseau doit-il s’adresser ?) est une installation monumentale, délicate et poétique de Manish Pushkale sur l’inexorable disparition des cultures autochtones en Inde. Créée par l’artiste indien à l’invitation du musée Guimet, l’œuvre s’inspire d’une histoire réelle, celle de l’extinction du langage aka-bo parlé par la tribu Bo sur l’archipel d’Andaman (Inde), également appelé « chant des oiseaux ». Conçue comme un voyage initiatique où se mêlent l’écriture, l’archéologie et la sensation fugace du souvenir, l‘installation de Manish Pushkale nous rappelle la fragilité de la conservation des patrimoines immatériels et la vulnérabilité d’une culture face à la rapidité des changements globaux. Superbe !
Après l’hommage rendu au peintre Raza au printemps 2023, cette 18ème Carte blanche conforte la place que le musée Guimet souhaite accorder aux artistes indiens et à l’art moderne et contemporain.
Pour la rotonde du 4e étage du musée, Manish Pushkale a créé une œuvre sur l’inexorable effacement des cultures ancestrales des ethnies indigènes des îles Andaman (golfe du Bengale), au gré des catastrophes naturelles, de l’impact du tourisme et de la mondialisation.
L’installation est un cocon dans lequel il faut entrer comme dans un sanctuaire oublié et mystérieux. L’artiste recrée, de manière visuelle et abstraite, le « chant des oiseaux », langue orale disparue de la tribu Bo, dont la dernière locutrice Boa Sr. s’est éteinte en 2010.
Un dédale de paravents de trois mètres de hauteur et dix-neuf mètres de long constitue une architecture labyrinthique fragile dans lequel le visiteur est invité à déambuler. Le papier, organique, irrégulier, malmené, réparé, troué, empâté de couches et portant des crevasses, de couleurs noire et rouge issues du basalte et de l’ocre, est recouvert de pigments minéraux issus de roches prélevées dans les différentes strates géologiques de l’archipel. Un quadrillage, ponctué de traits, bulles et tâches crée la structure géographique imaginaire d’une civilisation lointaine et oubliée. Une succession de points noirs et blancs disposés régulièrement évoquent le langage binaire ou les notes de musique. De grandes lignes fermées ou ouvertes sont le symbole des hésitations des populations natives des îles Andaman : faut-il s’ouvrir au monde ou se replier sur soi ?
L’œuvre abrite des oiseaux cachés qui font entendre leur chant, se substituant métaphoriquement à la voix absente de Boa Sr. et à son « chant des oiseaux » tombé dans l’oubli. Sur la face extérieure, un nid composé de brindilles de papier protège deux œufs, symboles d’un espoir de renaissance ou de réincarnation de la tribu Bo.
Artiste autodidacte, Manish Pushkale (né à Bhopal en Inde en 1973) s’est orienté vers la création artistique après des études en géologie et archéologie, en intégrant le complexe artistique pluridisciplinaire de Bharat Bhavan à Bhopal (région du Madhya Pradesh).
C’est dans l’ambiance fertile, intellectuelle et créative de ce creuset artistique indien qu’il a affiné son style et sa sensibilité résolument tournés vers l’abstraction. Il y a reçu l’influence de grands maîtres de la peinture indienne, notamment Sayed Haider Raza (1922-2016), dont le musée Guimet a exposé des mandalas à l’occasion de sa rétrospective au Centre Pompidou au printemps 2023. Également membre de la Raza Foundation à New Delhi, où il vit et travaille comme artiste indépendant, Manish Pushkale a exposé en Inde et dans le monde entier, dans des expositions collectives ou personnelles.
Ses toiles calmes et contemplatives s’attardent sur les thèmes du flux et reflux de la civilisation, sur la genèse, le progrès et le changement inéluctable. Ses créations, qui mêlent démarches artistiques pluridisciplinaires et pratiques spirituelles ancestrales telles que la méditation et l’ascétisme, ont été plusieurs fois présentées en Inde, en France, ou encore à la Biennale de Venise en 2010.
To whom the bird should speak? [À qui l’oiseau doit-il s’adresser ?]
En poète du silence, Manish Pushkale transmet une légende dont nous devenons les gardiens. La disparition en 2010 de Boa Sr., dernière locutrice du langage aka-bo de la tribu Bo, dit « langue des oiseaux », a mis en lumière l’effacement des cultures autochtones des îles Andaman, dans le golfe du Bengale.
“To whom the bird should speak?” est une oeuvre kaléidoscope dans laquelle la déambulation propose un voyage initiatique où se mêlent écriture et archéologie.
L’artiste, qui fabrique son papier, crée une matière irrégulière, faite de trous, réparations, crevasses, superpositions, comme des strates géologiques. Les couches picturales s’y superposent dans une palette assourdie réduite à l’essentiel et révèlent la tentative de transcription d’un langage sans écriture : symboles, signes, points et traits s’animent sur un fond quadrillé et forment la partition du chant aka-bo.
Çà et là on devine un oiseau et un nid abritant les œufs symboles de renaissance et d’espoir. De grandes lignes évoquent les frontières de l’archipel de manière duelle : fermées, elles sont le symbole du repli communautaire des populations natives d’Andaman et ouvertes, celui de la mondialisation qui viendrait lisser les particularismes culturels jusqu’à les gommer et les faire disparaître au profit d’une uniformisation.
Manish Pushkale se fait le passeur de ce qui n’est plus, il nous invite à nous intéresser à la vulnérabilité des traces immatérielles d’une culture menacée par la rapidité des changements globaux.